Renée Dunan - La Philosophie du Nu (1924)

Publié le par Fabrice Mundzik

« La Philosophie du Nu », de Renée Dunan, est paru dans La Griffe du 15 juillet 1924.

Cette chronique des Aventures du Roi Pausole nous apporte de nombreux éléments biographiques repris, par exemple, dans « Renée Dunan, la faunesse littéraire », par Claudine Brécourt-Villars.

Néanmoins, méfiance ! Renée Dunan avouait, en 1919 : « Le malheur, c'est que je triche… et il y a des gens qui s'y trompent. »

Les informations qui suivent sont donc, tout ou partie, authentiques. Qui sait... ?

Quelques extraits de « La Philosophie du Nu » :

Cette somptueuse édition  du Roi Pausole, — un livre à mettre près du Candide de Voltaire et qui peut traiter en égal, — ce magnifique volume sur hollande, que Carlègle orna de nus innombrablement galants, m'apporte tout un bouquet de vieux souvenirs.

[...]

C'était vers 1906. Je ne songeais point encore à devenir romancier. Pour dire vrai, j'étais encore encagée, dix mois l'an, dans un couvent où j'appréciais, comme la jeune fille bien élevée de René Boylesve, l'art psychologique de celles que Huysmans nommant pédantement des moniales, que le peuple appelle des sœurs, que les lecteurs de Rabelais nomment des nonnes et que nous nommions, comme Diderot, des religieuses.

[...]

Donc, à cette époque, ayant assisté peu auparavant à une des plus étonnantes cérémonies cultuelles, la section du poignet droit et l'enlèvement du cœur à une abbesse morte (ces organes sont destinés à servir de truchement pour les miracles, s'il advient que l'abbesse soit canonisable). Je me reposais dans la maison familiale. C'était l'été. Je ne sais plus quel travail de réfection dans les parquets, me força quelques temps à quitter ma chambre pour coucher dans celle de mon frère, lequel exerçait alors l'office de maréchal-des-logis de dragons, profession hautement aristocratique et pour laquelle il avait exhumé une ancienne particule, dépourvue d'ailleurs de toute noblesse, mais qui faisait riche. (1)

Je regrette bien de ne point m'en être depuis parée en littérature, ni plus ni moins que les descendants de cet héritier de Randon de Boisset (riche traitant, dépourvu de toute noblesse) qui se nommait, à la révolution, Millon, ou plutôt le frère Millon du Grand Orient, et ne songeait point encore à s'affirmer catholique, — non plus qu'à se certifier de Montherlant.

Je pris donc possession de la chambre fraternelle et, quoique naturellement peu curieuse, je fis quelques fouilles dans les documents accumulés par mon sous-off' de frère, naguère estimable cancre d'une boîte de jésuite rhodenienne.

Je trouvai un trésor. C'est là que la littérature me fut révélée, et quelle ? Des numéros de la Plume et de la Revue Blanche, du Fin de Siècle, de la Gaudriole et du Supplément, dit de la Lanterne. Des Ermitage, des Mercure de France et de menus manuscrits attribués à Alfred de Musset complétaient ces merveilles. Il y avait aussi le Roi Pausole.

Je dévorai ces chefs-d’œuvre. Il me fallut plus d'un mois, lisant de jour et de nuit pour absorber tous ces génies. J'en maigrissais, tant ce labeur était rude, ce qui n'allait pas sans danger, étant de ces personnes qui n'ont pas d'excédent de poids à abandonner aux passions. (2)

De ces lectures variées et extraordinaires, malgré une mémoire fidèle, je n'ai guère de souvenirs. Ces Plume et ces Ermitage étaient bien plats. Dans la Revue Blanche, j'ai vu de l'Alfred Jarry, dont je me souviens encore. J'ai lu du Paul Adam, en ce fatras, et sa phrase colorée, agile et aiguë me ravissait. Benjamin Crémieux l'a bien deviné, Paul Adam, par sa série des Clarisse surtout, a fortement agi sur moi. (3) Je l'ai lu si ardemment que des morceaux entiers ne m'ont pas quitté depuis lors. Pour une adolescente peu pubère, c'était là de belles révélations d'art. Mais je trouvai surtout au Roi Pausole un charme indicible et le lus une bonne demi-douzaine de fois.

Je viens de le relire. J'ai toujours peur de reprendre contact avec des œuvres que j'ai jadis aimées. Il m'arrive d'aimer et de mépriser en mes critiques des ouvrages que je n'ai pas lus depuis quinze ans et il serait fort possible que mon avis changeât du tout au tout si je relisais. Mais il est déplaisant, quand on a perdu sensiblement toutes ses illusions de perdre encore celle d'une fixité personnelle d'opinions hors quoi le moi humain se désagrège. Je n'ai donc pas repris contact avec un tas d'œuvres jugées par moi sur des souvenirs périmés. Ainsi va le monde que vérité ni sincérité ne sont faits réels et certains...

Mais les dessins de Carlègle m'amusèrent d'abord en cette nouvelle édition du Roi Pausole. Je repris donc le roman de Pierre Louÿs.

[...]

Certes, nombre de sots diront que Pausole est un livre « libertin ». On sait qu'un prurit de vergogne s'est répandu sur nous depuis peu d'ans. D'un côté, des pontifes officiels jugent Victor Margueritte déshonoré par la Garçonne, de l'autre le communisme étale une pudicité insigne. L'autre jour, un rédacteur de l'Humanité tonnait même contre un journal évoquant les galanteries estivales du Bois de Boulogne et conseillait à son lecteur de ne point lire le Satyricon de Pétrone.

(1) Renée Dunan « compte parmi ses aïeux quatre échevins d’une grande cité ». (cf. Le Roman de la fin des Hommes, Les Moutons électriques, 2015)

(2) Elle se trouvait « ni élégante, ni jolie » et n'était « ni grande, ni blonde ». (id.)

(3) Benjamin Crémieux, « Les Lettres françaises », in Les Nouvelles littéraires du 15 septembre 1923 : « Par sa façon de conter, Mme Dunan s'apparente un peu à Paul Adam, surtout au Paul Adam de l'Année de Clarisse. Elle excelle dans les passages de force et de brutalité. »

Renée Dunan - La Philosophie du Nu (1924)

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